AFRIQUE
En me remémorant des souvenirs de cette mission, où j’ai vécu plus de vingt ans, est monté en moi quelques bribes d’histoire. Je vous en raconte quelques-unes.
Connaissez-vous la signification du nom « Manni » donné à ce village de brousse de la région de l’Est de Fada N’Gourma ? L’histoire de ce nom remonte à l’époque de l’ouverture de la mission avec les pères Rédemptoristes. Le préfet apostolique et le chef du lieu, s’arrêtant près d’un point d’eau, se disent dans le dialecte de la région : « li main » qui signifie : « Ici, c’est bien ». De là, le nom de Manni donné à ce lieu. Manni est la première mission de la congrégation en Afrique. Les trois premières sœurs canadiennes arrivent dans le village en1955. Elles se dévouent comme infirmières et enseignantes au primaire.
Les gens leur font tout de suite confiance. Un jour, elles accueillent un bébé dont la mère vient de décéder à la naissance de l’enfant. Selon la coutume du temps, ce bébé devait être enterré avec sa maman. L’enfant, appelé Omer, grandira entouré des soins et de l’affection de ses mamans religieuses. Ordinairement, les sœurs déjeunaient en silence, mais les balbutiements d’Omer suscitent l’émerveillement et délient les langues… D’âge scolaire, Omer va à l’internat des pères puis, devenu adulte, il fonde sa famille.
Un peu plus tard d’autres enfants sont amenés aux sœurs, dont une belle petite fille. On l’appelle Danielle. Elle suit les sœurs et elle fait la joie de ses dernières. Mariée et mère, elle continue de demeurer proches des sœurs.
Et que dire des religieuses qui sont passées à Manni ! L’une d’entre elles, sœur Émérentienne Fecteau, missionnaire, infirmière, accoucheuse, marque le milieu. Elle manie la langue gourmantchée à perfection. Elle parle également le mauré et comprend le peulh. Arrivée au dispensaire dès cinq heures du matin, elle reçoit chacun avec bonté, soignant des plaies, opérant des yeux malades, accouchant des femmes, et encore. Plus tard, sœur Édith Audet, elle aussi infirmière, se soucie spécialement de former des sages-femmes, reconnues par l’État.
À l’école, des sœurs enseignent au primaire jusqu’au CM 2. Je fais partie de l’équipe des enseignantes. Parmi nos élèves, le jeune Félix se démarque. Parti au Niger, il fait son séminaire et devient le premier prêtre gourmantché. Plus tard, comme les classes passent à l’État, nous nous consacrons à l’alphabétisation. Parmi les alphabétisés, il y en a un qui fait des progrès remarquables si bien, qu’après quelques années il passe ses examens et obtient de bons résultats. Nous l’inscrivons à des cours de comptabilité par correspondance. Ce dernier est ensuite engagé comme comptable au diocèse de Fada.
L’action apostolique des sœurs se diversifie. Formation de groupes d’enfants et de jeunes adultes, préparation au mariage, planification familiale naturelle, formation des catéchistes et des mamans catéchistes font parties des activités des religieuses. La chrétienté augmente et les religieuses vont de villages en villages pour l’alphabétisation, la catéchèse et les rencontres de groupes.
Le désir de la vie religieuse se manifeste. Des jeunes filles disent aux religieuses : « Nous voulons devenir des sœurs comme vous autres. ». Alors, sœur Édith Audet en parle au curé de la paroisse qui lui répond : « Si vous voulez des sœurs, faites-vous-en. » Parole prophétique pour nous puisque le père Brousseau, notre fondateur, avait reçu la même réponse de l’évêque. Un centre vocationnel est ouvert. Sœur Micheline Godbout en est la responsable. Des filles arrivent et l’une d’entre elles, Anne Vebamba, deviendra la première religieuse NDPS africaine.
Pour terminer, quelques faits… Lors de la construction d’un forage, très tôt le matin, la foreuse perce, perce toujours plus profond, mais rien n’apparaît. On suspend les travaux. Un deuxième essai est tenté. Désolation, même résultat. Le foreur étudie les lieux. Il y a un arbre…. On recommence à creuser… l’eau surgit en abondance. Ce forage, après 25 ans, fournit encore l’eau d’une majorité de gens près du marché.
Une dame lépreuse doit recevoir sa portion de mil à chaque mois. Ne possédant que le pouce et l’index, à la saison des pluies, elle cultive un petit champ d’arachides. Savez-vous qui reçoit les prémices de sa récolte ? Chaque année, elle nous offrait une petite calebasse d’arachides. Nous les gardions en réserve et l’année suivante nous lui offrions des arachides pour sa nouvelle semence.
Des jeunes femmes, incapables d’allaiter leur bébé, recevaient un biberon et du lait en poudre. Un bon jour, une jeune maman vient s’asseoir dans notre cour et demande du lait en poudre. Cette dame pouvait allaiter son bébé. Nous lui disons de retourner au village, mais celle-ci s’assoit dans la cour. Les heures passent. Elle est toujours là. 15h00, 16h00… elle finit par gagner sa cause et retourne chez-elle avec du lait en poudre.
L’heure étant venue pour sœur Émérentienne Fecteau de revenir au Québec, les gens de Manni lui disent : « Toi, assieds-toi avec nous ! » Ce qui exprime, pour les Gourmanchés, l’importance des personnes âgées qu’ils regardent comme des sages. Considéré avec grand respect, le vieux est assis dans la concession et devient un chef de concession vers qui vont les villageois, pour discuter et demander des conseils. Sœur Émérentienne était devenue l’une des leurs. Elle pouvait s’asseoir au milieu d’eux. Elle appartenait à leur culture.
Merci à la congrégation et à la Providence pour toutes ces années de mission à Manni. Ce fut pour moi un chemin de vie et d’épanouissement au milieu de cette population chaleureuse et reconnaissante.
Sœur Colette Pelletier, ndps.