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LA VIE CHEZ-NOUS

UN HEUREUX SÉJOUR EN BOLIVIE

À mon obédience de 1986, sœur Jacqueline Brisson supérieure régionale, m’envoyait à Sucre, en Bolivie, pour terminer la construction du foyer Santa Rita. Le 14 septembre de cette même année, je m’envolais donc vers un pays inconnu, en compagnie de sœur Aline Poulin. Le lendemain matin, nous faisions escale à Santa Cruz. Après une attente de dix heures, nous avons continué notre route vers l’aéroport Juana Azurduy à Sucre. Là, une belle famille de compagnes nous attendait : SS Pauline Turcotte, Gemma Ouellet, Rose-Anne Rousseau, Huguette Bérubé et Rollande Paradis. Quelle joie pour nous toutes !

Ce fut une très belle expérience. Il m’a fallu d’abord, apprendre la langue espagnole, car je ne possédais que quelques mots de salutation comme vocabulaire. Le 9 février 1987, la porte du foyer s’ouvrait tranquillement aux premières bénéficiaires; c’était une aventure nouvelle pour elles et pour nous. Il fallait tout prévoir et réaliser. Le 22 mai, fête de sainte Rita, sœur Jacqueline Brisson est venue pour l’inauguration et la bénédiction du foyer.

Nous avons accueilli plus de 260 personnes de tout âge, jusqu’à 106 ans : quatre furent acceptées pour des raisons bien particulières. Je mentionne un jeune homme de 26 ans, Nicolas Llampa. Il est mon fils adoptif, selon le dire de mes compagnes. Voici son histoire.

Dans un grave accident de camion, il a perdu sa femme qui était enceinte ainsi que l’usage de ses deux jambes. Après avoir séjourné un an et demi à l’hôpital et bénéficié par la suite d’une année supplémentaire de réhabilitation au foyer, il a entrepris des études auxquelles il a consacré 13 ans de sa vie. Ne possédant comme acquis que trois ans de scolarité, il lui a fallu beaucoup de détermination et de persévérance pour relever le défi. Le tout s’est couronné, une semaine avant mon départ, quand je lui ai remis son diplôme de comptable. Je vous assure qu’il en était très fier !

Ah ! j’avais aussi une fille adoptive, celle-ci muette et sourde. Elle se nomme Luciana Rios. Elle avait une façon bien particulière de nous signifier qu’elle était heureuse et qu’elle nous aimait : elle nous montrait son poing… Inutile de vous dire que ce geste a occasionné quelques frictions avec les nouveaux venus.

Quand je pense aux années vécues en Bolivie, ce qui me réjouit et me fait vivre, ce n’est pas tant ce que j’ai accompli que ce que j’ai reçu en servant les personnes, pauvres de matériel, oui, mais tellement riche de Dieu ! Elles sont d’une reconnaissance sans borne qu’elles expriment en multipliant les bénédictions à notre endroit.  Leur contact nous amène à réfléchir sur les valeurs importantes de la vie. Pour ma part, j’ai réalisé que c’est en ouvrant les yeux et les oreilles, en tendant la main que l’on goûte à la vie, en découvrant les merveilles de Dieu.

Je vous raconte deux faits que je trouve très éloquents. Le premier concerne Jacinthe Flores. Il s’agit d’une personne seule dans la vie; elle ne sait ni lire, ni écrire. Se chicaner est une vraie passion pour elle, mais elle demande fermement au bon Dieu de la changer. Passe le temps… un jour, je lui dis: « Jacinthe, toi qui aimais tant te chicaner, je vois que tu aides maintenant tout le monde ! » Elle me répond : «Ici, tout le monde m’aime, pourquoi je ne changerais pas ?» Plus tard, une employée me dit que Jacinthe ne veut pas déjeuner. Je me rends à sa chambre. Je vois qu’elle désire s’asseoir mais qu’elle n’en a pas la force. Elle me dit: « Pourquoi vais-je manger, je vais mourir ! » Au dîner, elle dit à l’infirmière : « Pourquoi vais-je manger ? Dieu m’appelle, ne me retenez pas, je vais mourir ! » À treize heures trente, elle rendait l’âme…

Au mois de février 2015, sœur Paulina Castro s’est chargée de l’administration du foyer « Santa Rita » et Mery Tardío fut nommée supérieure de la communauté. Je me suis sentie dégagée car j’étais là pour rendre des services. Ce fut un temps agréable et je peux dire que l’œuvre est entre bonne main.

Ma dernière année en Bolivie fut bien différente. J’étais nommée au foyer Perpétuel Secours, lequel est dédié à l’aide aux devoirs. S. Elsa Quintana et S. Elizabeth Vidal sont expertes pour cette mission. Mon séjour avec les tout-petits m’a permis de les côtoyer à leur récréation. J’étais heureuse de pouvoir rendre ce service. Ce fut pour moi une nouvelle expérience avant de quitter définitivement la Bolivie.

Avant mon départ, les compagnes, les employés, les ex-employés, les associés m’ont rappelé les bons moments de l’amitié que nous avons tissée ensemble. Ils ne pouvaient me quitter sans me remercier, en me fêtant à leur manière, qui est une de leur grande force et qualité. En voici le contenu.

* Des délicieux repas – une belle messe célébrée par Mgr Aldolfo Bischt, évêque auxiliaire : célébration suivie d’une collation spéciale. – un dîner-rencontre avec des personnes avec qui j’avais travaillé ou que j’avais côtoyées : Mgr Jesus Juarez, archevêque de Sucre, des sœurs de différentes communautés du groupe PASCAR, des amies rencontrées dans les services que nous offraient la ville ou autres, notre amie Mireya Lobaton, architecte, Mme Victoria Ruíz de Miranda, une dame avec qui j’avais commencé l’écolage, ie distribution d’articles scolaires aux étudiants de milieux pauvres, notre ex-employé Felipe Loza, préposé et homme de maintenance, et bien sûr mes consoeurs.

* Un Acte de reconnaissance fait et remis par les Conseillers de la Ville de Sucre pour les trente et une années passées au service des personnes âgées ou démunies et la remise d’une décoration qui devait être la médaille de Juana de Azurduy (la femme qui a obtenu l’indépendance de Chuquisaca, département où nous sommes). J’ai reçu, à la place, la médaille du 2e Président de Bolivie, Gran Mariscal Sucre.

L’heure était venue de faire mes adieux aux personnes âgées et aux employé(e)s. Je suis allée saluer chacune dans sa chambre ou à son emploi. Mon dernier aurevoir fut à l’aéroport Alcantari, situé à 50 kilo-mètres de la Ville de Sucre. Il s’est adressé aux personnes qui m’accompagnaient : SS. Mery Tardío, Paulina Castro, Irma Luján, Olivette Courcy, Elsa Quintana, Elizabeth Vidal, M. l’abbé Juan Miranda, Mme Victoria Ruíz, María Condori Isabel Saavedra et Nicolas. Le tout s’est terminé par une « accolade d’ours », comme disent les boliviens, avec  une pluie sereine.

Les compagnes ont formulé ce souhait avant le départ : « Rose- Aimée, passe deux ans au Québec et reviens prendre deux mois de vacances en Bolivie. » Seront-elles exaucées ?

Rose-Aimée Turcotte, ndps